Être Oiseau - Le before POTE 2024

avec le compositeur Grégoire Lorieux

 

Dans le cadre du festival Back To The Trees, l’avant-goût du festival POTE 2024 avec les musiciens de l’Ensemble POTE et le compositeur Grégoire Lorieux aura lieu le 15 juin prochain dans le bois d'Ambre à Saint Vit.

 

 

Être Oiseau - Qu'est-ce que c'est ?

Inspiré par Habiter en oiseau de la philosophe Vinciane Despret, Être Oiseau est un jeu sonore en plein air qui propose de prendre le rôle d'un oiseau en choisissant et partageant un territoire sonore.

À l'aide d'un instrument de percussion (woodblocks, triangles, gongs, crécelles...), chacun "chante" son territoire, le partage avec d'autres espèces et communique avec ses congénères : des coordinations musicales simples et à la portée de tous.

Trois musiciens s'incluent dans le jeu et "chantent" un oiseau autrefois commun mais récemment disparu de France, comme ici le traquet rieur.

Prenant une forme ritualisée, ce jeu est proposé à un public d’adultes et d’enfants à partir de 9 ans sous la forme d’un atelier dont la restitution est ouverte à un plus large public.

 

Une interview avec Grégoire Lorieux pour tout comprendre de cette oeuvre

 

Est-ce que vous pouvez expliquer ce qui a donné naissance à Être oiseau ?

À l’origine de ce projet, il y a ma pièce intitulée L’Entaille (2019) inspirée par l’essai Le détail du monde, ou l’art perdu de la description de la nature, un essai d’épistémologie de Romain Bertrand dans lequel l’auteur s’intéresse à la manière dont les naturalistes du XIXe siècle décrivaient le monde qui les entourait, en prélevant le monde qui les entoure, en chassant tout ce qui existait dans un petit vallon pour mesurer le nombre d’espèces dans un endroit donné. Dans cette pièce de plein air, je me suis intéressé à plusieurs espèces disparues, à partir d’un rapport de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature en France) qui faisait état de l’effondrement de la diversité de certaines espèces d’oiseaux et d’insectes. J’ai imaginé une installation électroacoustique qui reconstitue leurs chants, à l’aide de petits haut-parleurs répartis dans l’espace, et d’une chanteuse, qui improvise dans cette spatialisation.

Il s’agit d’une dramaturgie assez simple : les oiseaux et les insectes (disparus ou en voie de disparition) se répondent de manière très abstraite, en quelque sorte remplacés par leur double synthétique, un cyborg. C’est bien sûr un imaginaire de science-fiction qui se déploie, auquel se mêle une crainte politique – directement liée à la lecture de ce rapport.

Dans cette pièce, j’ai voulu créer un rituel où l’on rendrait hommage à ces espèces, un peu à la manière des artistes qui ont imaginé ces dernières années des cérémonies d’hommage aux glaciers en train de disparaître.

 

Et avec Être oiseau ?

Être oiseau doit beaucoup également au livre Habiter en oiseau (2019) de Vinciane Despret : elle y raconte à sa façon, en philosophe, en éthologue et en conteuse d’histoire comment les oiseaux font territoire. Ils utilisent ainsi leur chant pour marquer leur territoire de trois manières différentes : on distingue une fonction d’alerte, une autre de ramage (lorsqu’ils chantent pour eux-mêmes), et une dernière de repérage ; c’est la base de ce projet.
Avec Être oiseau, j’ai imaginé quelque chose de plus live, avec des musiciens ; j’ai utilisé un logiciel qui effectue des transcriptions de sons pour former des mosaïques : le logiciel puise dans des bases de données de flûte, de violon, de clarinette pour reconstituer le chant d’oiseau et aboutir à une partition. Je peux avoir de la sorte trois versions différentes, pour chaque instrument, d’un même son : je crée une image, un portrait du son d’origine, c’est-à-dire du chant d’oiseau. L’oiseau, ici, c’est le traquet rieur : on le retrouve aussi chez Messiaen, mais il a aujourd’hui disparu en France. C’est un petit passereau, au chant très vif, très frais.

Chez moi, l’idée est que les musiciens prennent la place de cet oiseau disparu : ils ne le portraiturent pas, ce sont eux-mêmes des musiciens oiseaux, dans un changement complet de perspective.


Être oiseau est une pièce participative : comment est-ce que cela se traduit concrètement ?

Au traquet se joignent d’autres espèces, celles-ci imaginaires. Des percussions sont distribuées : à chaque type de percussion correspond une espèce imaginaire, comme l’oiseau-triangle, l’oiseau-gong, l’oiseau-crécelle... Les percussions sont choisies pour être transportables, ne pas reposer sur une trop grande technicité, et être suffisamment variées.

Je commence toujours par un petit rituel, pendant lequel les percussions sont distribuées : on ôte la parole aux percussionnistes qui deviennent des oiseaux-percussions et ne peuvent plus que s’exprimer qu’avec les percussions. Si on pousse un petit peu, cela peut devenir un jeu grandeur nature : on peut demander à chaque personnage d’avoir un comportement, une histoire, un personnage.

Il y a aujourd’hui une ligne de crête qui n’est pas forcément évidente aujourd’hui, avec l’émergence de récits célébrant la résilience de certaines espèces, mais peut-être un peu trop optimiste par rapport à l’état réel de l’anthropocène. En parallèle, on peut parler d’une prise de conscience dans le milieu artistique concernant les limites de la planète, qui s’accompagne de nouvelles formes d’expressions marquant une rupture par rapport au
monde dans lequel on vit aujourd’hui.

 

Comment est-ce que vous vous situez par rapport à cela ?

Oui complètement. On commence à se reconnaître entre nous, celles et ceux qui comprennent qu’il ne s’agit pas seulement de changer les pratiques, de verdir les pratiques, mais de changer la forme de l’intérieur, qu’elle prenne du sens politiquement aussi. Cela peut prendre mille formes : et ça tombe à pic aujourd’hui, parce que cela correspond à un moment où les formes musicales, les formes de présentation des concerts, évoluent. On se pose beaucoup de questions aujourd’hui sur la place de la médiation dans tout cela, sur celle de l’écriture ; c’est passionnant, mais cela donne lieu à des conflits, ou plutôt, à des querelles sur le plan esthétique.


Vous avez l’impression que c’est une position qui ne va pas de soi aujourd’hui ?

Je fais jouer des musiciens sur partitions, avec des réservoirs, certes, et un dispositif un peu particulier, mais je tiens à faire jouer les musiciens en plein air : sans le plein air, la pièce est très différente ; l’écoute, les interactions, tout change.

C’est un sujet de querelle, un marqueur très fort je crois, entre générations; et par « génération », je n’entends pas forcément une question d’âge, la question est plutôt de savoir à quel endroit on se situe. Je pense ces querelles sont amenées à se polariser – si ce n’est pas déjà le cas – de plus en plus, renforçant un certain nombre de conservatismes : je crois que tout le monde n’est pas prêt à embrasser ce changement.

 

Parce qu’il implique des ruptures, des inconforts, un changement de logiciel ?

Oui. On en est plus à « parler de » aujourd’hui : plutôt que de parler de l’oiseau sur la branche, il faut montrer l’oiseau sur la branche. Aller dans les forêts, plutôt que de parler des arbres. Travailler avec des spécialistes, qui peuvent nous expliquer pourquoi telle espèce végétale ou animale disparaît aujourd’hui, ou imaginer de nouvelles médiations avec d’autres publics, celui des parcs naturels par exemple.

 

Justement : vous ne craignez pas que l’on vous reproche de plaquer sur l’art des finalités politiques qui devraient lui rester étrangères ?

Oui, c’est l’un des points de cette querelle : est-ce que la musique doit être politique ? Je pense que les choses peuvent être associées. Il faut assumer les choses : si on veut faire une musique politique, qu’elle le soit jusqu’au bout. Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu’il faut que la musique soit systématiquement politique, mais pourquoi ne pas laisser cette possibilité : que l’art soit porteur de sujets de sociétés. La musique a, comme les performances, les arts plastiques, la danse, etc..., ses spécificités, ses compétences : et ce n’est pas parce que l’on fait de la musique politique que cette musique est moins bonne, ou que l’on dévalue le métier de compositeur et de compositrice. J’ai l’impression que les artistes plasticiens, les designers vont quelque part beaucoup plus loin dans leur utilisation du matériau social.

 

Quand on pense « oiseaux » en musique, on pense souvent à Messiaen et à son Catalogue d’oiseaux ; comment est-ce que vous vous situez par rapport à cette référence ?

Je me suis progressivement rendu compte de la profondeur de cette pièce que je n’ai pas forcément immédiatement appréciée. Messiaen avait une oreille très entraînée, qui filtrait le son et en proposait une traduction sur partition en demi-ton, avec le timbre du piano en arrière-plan. On pourrait dire, en apparence, que sa démarche est très anthropocentrée, mais finalement pas tant que cela ; il ne se souciait pas forcément du timbre de ces oiseaux, mais davantage de leur contexte : il représente le paysage sonore de l’oiseau, de manière plus ou moins réaliste, mais sans l’extraire de son contexte. Messiaen se réfère toujours à un être vivant : l’oiseau est dans le jardin à côté en train de chanter. Et cela change tout : ce n’est pas du tout la même chose de faire le portrait de quelque chose que l’on entend, et d’imaginer le son de ce qui n’existe plus... Or, plusieurs des oiseaux peints par Messiaen n’existent plus aujourd’hui : on ne peut plus s’y référer dans notre environnement.


Et ce n’est pas pessimiste ?

Non, Être oiseau n’est pas une pièce pessimiste. L’idée est de prendre le contrecoup des disparitions, de proposer un rituel dans lequel on est actif, dans lequel on prend soin de ce qu’il reste. Prendre soin de la terre, sans l’exploiter comme dans un système capitalisme qui en épuise toutes les ressources ; créer de nouveaux liens. Faire entendre cet oiseau disparu, c’est apporter une petite pierre à cet édifice.

 

Entretien réalisé le 13/05/2024 par Aurore Flamion

Rejoignez l’Ensemble POTE  (Szuhwa Wu, violon, Lisa Raphel, flûte, Nicolas Fargeix, clarinette) pour cette expérience sensible aux côtés des oiseaux de la forêt d’ambre, dans une immersion à 360 degrés accompagnée par Grégoire Lorieux !

Pour participer à cette performance, nul besoin d’être musicien. Que l’on soit jeune ou vieux, homme ou femme, il suffit de prendre le rôle d'un oiseau. Vous pouvez participer à l'une ou l'autre des 2 sessions proposées

  • Session # 1 = de 17h30 à 18h20, Ateliers avec le compositeur et de 18h30 à 19h00, Performance
  • Session # 2 = de 19h30 à 20h20, Ateliers avec le compositeur et de 20h30 à 21h00, Performance

Inscription au lien suivant :

https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSeXNGtLWk_QOc_RJNNCVVrVdzrk8NstijTuDo9281sXCl1GDA/viewform